Pierre-Alain Savary

De l'orphelin au pianiste

Autrefois, vivait à l’orphelinat de Fribourg un enfant abandonné de ses parents.
Le petit garçon était triste et seul… pas de copains avec qui jouer. Il lui arrivait souvent de pleurer dans son coin ou se réfugier dans les bois situés derrière la gigantesque demeure tenant lieu d’orphelinat. Il passait ses journées à rêver d’un « Sauveur » qui le sortirait de ce triste monde.
Lorsqu’il était tiré de ses rêves bienfaisants, brusquement plongé dans cette horrible réalité, sans espoir d’un meilleur, il se mettait à pleurer. Ses crises de larmes étaient si fréquentes que l’on avait fini par le surnommer le « saule pleureur ». Il se moquait bien de ce sobriquet, car il aimait les arbres, tous les arbres, y compris celui-ci.
Il avait beaucoup de plaisir à grimper aux arbres et se cacher dans le feuillage de ceux qu’il appelait ses amis et contre lesquels il déversait ses larmes et épanchait ses chagrins, entourant leur tronc de ses bras. Pierre trouvait compréhension et protection auprès d’eux. Il avait l’impression de recevoir de l’affection. De là, il a toujours voué une passion pour ces créatures végétales. Il passait beaucoup de temps sur leur sommet, éprouvant du plaisir à voir le monde d’en haut et profiter de la paix que lui conférait cette solitude d’altitude. Il aimait caresser leur cime si douce et, l’appliquant contre sa joue, elle semblait lui donner de la tendresse, beaucoup de tendresse. Il lui arrivait de leur raconter des histoires, leur exposer ses problèmes et leur demander de le protéger.
L’un d’entre eux, son meilleur ami, était un puissant et immense séquoia. Du haut de ses trente mètres, il semblait régner en maître et seigneur sur les autres arbres. Ses branches de base étaient aussi larges que les troncs des jeunes sapins environnants. Dire que ces patriarches peuvent vivre jusqu’à 2 à 3 mille ans quand bien même leurs chances de devenir de majestueux adultes ne sont que de 1/1 million. Ses fruits étaient gros comme d’oblongues oranges. Ses aiguilles très effilées étaient longues de près de quinze centimètres. Il pouvait humer l’odeur de ce tronc ridé mais malgré tout si doux dont il appréciait les effluves de sève et de poix lui collant aux mains. Le murmure mélodieux issu du vent dans ses aiguilles faisait rêver Pierre à un monde meilleur.
Séquoia semblait lui parler et le conseiller, l’encourageant à vivre malgré ses malheurs. Perché à son sommet, Pierre s’entretenait avec Dieu.
A la nuit tombée, le petit garçon finissait par le quitter en lui donnant rendez-vous le lendemain.
De retour à l’orphelinat, Pierre attendait sa maman ou quelqu’un qui viendrait peut-être un jour le chercher.
Lorsque arrivait enfin Noël, Pâques ou d’autres fêtes, Pierre se réjouissait de recevoir la visite de sa « mère ». Ses visites, pourtant bien souvent promises, ne lui furent que trop rarement rendues. Combien d’heures le petit Pierre ne l’a-t-il pas espérée dans cette salle de toutes les attentes. Il se souvenait que sa maman l’avait abandonné dans cet orphelinat et s’était évanouie au détour de ce chemin. Il se disait que peut-être, cette fois, elle reviendrait et le reprendrait avec elle… pour toujours… comme elle l’avait promis.
Au milieu de la pièce se trouvait une lourde table ronde en bois. Dans l’épaisseur de son pied central était magnifiquement sculpté un berger jouant de la flûte, allongé et adossé contre un tronc d’arbre et entouré de ses moutons. Il imaginait être à sa place pour bénéficier de son bonheur qu’il considérait comme absolu. La joie de ce berger était simple… jouer de la flûte pour son chien, son troupeau… et pour l’enfant.
Dans la pièce d’à côté, Pierre entendait de la musique. On jouait du piano. Pierre aimait tant cela. Ainsi le temps passait plus vite mais en même temps, ses chances de voir sa maman arriver s’amenuisaient. Cela le divisait… Le jour finissait par tomber. L’émoi et le sentiment d’abandon s’installaient dans son cœur.
… Et ce berger qui avait l’air si heureux avec ses moutons. Il aurait aimé être son ami… l’ami de l’ami des bêtes mais aussi des arbres. Partagerait-il son bonheur avec Pierre, celui d’une vie simple et harmonieuse ? Il aurait adoré qu’il lui joue de la flûte… et l’on continuait à jouer du piano dans la pièce voisine…
Un jour, petit Pierre se décida à aller jeter un coup d’œil là où ses oreilles le conduisirent…
Il y découvrit un grand jeune homme… un ancien orphelin, aujourd’hui pianiste … au paradis.
Il s’assit par terre pour ne pas le déranger dans son exécution musicale.
Il observait ce magnifique instrument élancé, noir, fait de bois d’ébène venu de lointaines régions équatoriales. Ces splendides ébéniers étaient aussi des amis-arbres vivant à l’étranger. Pierre s’enivrait de ces rêves d’outre-mer sur cette musique enchanteresse.
 
Il avait pu apprécier la musique issue du vent dans les branches de son séquoia… Il imaginait jusqu’à entendre la douceur de la flûte de son ami berger… mais Pierre ne se doutait pas que le bois de ces beaux arbres exotiques pouvait donner de si majestueux instruments dont la musique l’enchantait tant alors qu’il se mettait à pleurer… de joie cette fois.
Une fois que son ami pianiste Jean-Daniel eut terminé son exécution musicale, il proposa gentiment à Pierre de lui enseigner quelques rudiments de piano. Ainsi apprit-il les gammes, quelques morceaux simples et la lecture des notes… c’était très agréable.
 
C’est ainsi que petit Pierre, saisi par la magie de cette belle musique et l’émotion qu’elle dégageait, devint à son tour un excellent pianiste et chanteur.
Le ciel, attristé de voir la profonde solitude et le chagrin de Pierre, lui avait parlé au travers de son séquoia et lui accorda le don de musicien.
 
 
Pierre voue sa vie à donner du réconfort par sa musique à tous les enfants et adultes malheureux