Pierre-Alain Savary

St Jacques de Compostelle, de l’espoir à la lumière


Introduction 

« Dérivant sans but, égaré au milieu de nulle part, me voilà, je ne sais pourquoi, au centre d’un village… personne ici… quelques amas de neige épars mais je n’ai pas froid d’autant que le soleil brille… deux chiens très agressifs aboient à ma vue… aucun son ne sort pourtant de leur gueule. L’un d’eux s’approche de moi – impossible pour ma part de bouger. Il lèche ma main et se positionne ensuite devant moi tel un guide. Obnubilé par cette situation à la limite bizarre, je le suis sans raison. L’animal est silencieux. Son pas flotte au-dessus du sol. Il m’apporte la paix. Au loin, un autre village. Ca grimpe sec mais je me sens si léger et tellement bien. Soudain, sorti d’on ne sait où, un autre chien bondit sur moi. La douceur de ce moment hors du temps est rompue par cette agression. La surprise fut telle qu’avant de pouvoir réagir, mon compagnon intercepta l’autre animal en plein vol. Un bruit de craquement de vertèbres et l’importun se coucha sur le dos selon une attitude typique de soumission tout en émettant un glapissement caractéristique. »… je me réveille brusquement. Il me faut réunir mes idées pour savoir où je me trouve… en fait, chez moi, au chalet. C’est donc début mars 2007 vers 6 h. du matin (très tôt pour moi), après ce qui n’était qu’un beau rêve, qu’une idée fixe poussée à l’obsession m’extirpa de mon lit douillet : partir à St Jacques de Compostelle.
Apparut alors très clairement à mon cerveau en ébullition que ce projet, si soudain soit-il, ne serait plus jamais remis en question… une étape incontournable de ma vie.
Une amie très aimée ayant réalisé cette performance l’an dernier me fit profiter de ses conseils avisés. Elle m’aida à préparer le grand départ. Turning point, bilan existentiel, quid général, expérience spirituelle furent autant de motifs justifiant à mes yeux ce pèlerinage. Il s’agissait de modifier le cours de ma vie, à la recherche d’une nouvelle raison à mon existence, voguant à la dérive sur un océan de mélancolie. Christiane accepta, quelque peu surprise par tant de hâte, mais plus encore par la soudaineté de ma décision. En effet, 15 jours plus tard, je me retrouvai au Puy-En-Velay, départ classique de cet extraordinaire pèlerinage.
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L’amie m’accompagna dans une boutique et m’éclaira sur l’acquisition d’habits spécifiques pour ce type de «sport». Elle me prêta son propre sac à dos, lequel m’allait tel un gant. Celui-ci fut réorganisé maintes et maintes fois durant cette ultime période de 2 semaines précédant mon départ. Il ne devait comprendre que le strict nécessaire et son poids ne pas excéder 12 kg. Tous les jours, je le vidais, reconsidérant minutieusement son contenu pour le remplir ensuite selon une logique rigoureuse. Ce qui ne me servirait qu’en de rares occasions serait disposé au fond alors qu’à son sommet, les affaires à usage quotidien seraient à portée de main, soit de bas en haut : sac de couchage léger, veste d’hiver en plumage, pèlerine (ces 2 derniers effets furent hélas infiniment plus utilisés que prévu, le climat froid, neigeux et pluvieux ayant été par trop souvent mon triste compagnon au cours de ce périple), quelques habits de rechange, trousse de toilette, médicaments et autres objets tels que couteau suisse et lampe de poche solaire.
Ma détermination à partir était confortée par le fait que tous les inextricables obstacles qu’une vie professionnelle, que je délaisserai pour une période de deux mois, s’estompèrent avec une si surprenante facilité que cela signifia dans ma logique personnelle basée sur ma croyance profonde que ce pèlerinage inspiré par le Divin Lui-même devait s’accomplir.
Pourtant, une certaine inquiétude me gagna. En effet, le climat se dégrada durant cette période de 15 jours. Les températures chutèrent. Le froid associé à la pluie vite remplacée par la neige sévit sur l’Europe. On signalait d’importantes tempêtes sur le Massif central en particulier sur l’Aubrac… très perturbant. Afin de persister et signer dans la réalisation de mon nouveau rêve, mon univers onirique s’en appropria et façonna ce voyage selon un imaginaire empreint de romantisme et basé sur une réalité appartenant au passé selon lequel l’ex-sportif Pierre serait très capable de vaincre l’adversité et puiser si nécessaire dans ses infinies ressources intérieures afin de mener à son terme ce projet dédié à Dieu en personne. Je lui devais bien cela et cette idée de Lui dédier mon voyage, ajoutée à la certitude qu’Il m’en inspirait suffit largement à ne jamais me faire douter de sa réalisation dans la chaleur et le confort de mon chalet.
Arriva l’inéluctable échéance de mon départ. Le maçon était au pied du mur. Samedi 24 mars, Evelyne et moi partîmes en direction du Puy-En-Velay. Là m’attendaient ma chambre d’hôte où passer ma première nuit de voyageur et ma dernière nuit de sédentaire. Pierre-Alain le pèlerin devra donc parcourir les 1600 km qui le séparent de la cathédrale de l’apôtre Jacques en Espagne. Une idée très exaltante empreinte cependant d’anxiété.
Quelle émouvante remémoration ! La providence aura sans doute dû me sourire puisqu’elle m’a permis de vivre l’un des plus extraordinaires moments de mon existence.
Durant notre voyage en voiture, nous eûmes à essuyer une importante tempête de neige. Cela ne me rassurait guère à vrai dire. Pourtant la sensation d’enivrement ne cédait pas à ces contrariétés. N’allais-je pas réaliser le 7e rêve majeur de mon existence terrestre. ?
Une fois au Puy, Evelyne et moi visitâmes l’église de la Vierge Noire dans laquelle régnait un faste tapageur contrastant avec l’absence de croix en ce lieu pourtant dédié à la prière. Cela ne me plut pas. La mariolâtrerie à l’instar des protestants ne constitue pas ma tasse de thé.
Nous reprîmes les escaliers que nous venions peu avant de gravir. De retour chez notre hôte, celui-ci nous offrit une boisson chaude dans le silence. Un silence qui pesait lourd sur mon esprit envahi par le doute ! Ma conductrice me quitta ensuite préoccupée par le temps et la nuit tombante. Il s’avéra qu’elle mettra deux fois plus de temps pour le retour que pour l’aller.
Un profond sentiment d’abandon m’envahit. Vivre le départ de cette amie qui occupait une grande place dans mon cœur ressemblait comme deux jumelles à l’abandon de l’orphelin par sa propre mère. Mais là, Evelyne n’était pas ma mère mais une amie – est-il nécessaire de le préciser – et son départ correspond tout de même à la réalisation de mon rêve majeur.
Il continuait à neiger dehors et cela ne s’arrangeait pas… à remettre entre les mains du grand Climatologue… voici comment se soulager d’un souci somme toute superflu… facile à dire !
Adieux et embrassades avec Evelyne. Difficile de contenir nos larmes… ah, la pudeur !
Après son départ, l’orphelin alla se réfugier dans sa chambre comme il le faisait jadis en pareille circonstance afin de pleurer un bon coup. Cela me faisait toujours du bien… cela me fit du bien. Je m’adressai ensuite à Dieu pour ce voyage et priai.
C’est dans cette atmosphère de mélancolie, ce moral mitigé, que nous nous retrouvâmes avec mon hôte, lequel semblait encore plus déprimé que moi. Il y a décidément trop de silence dans cette baraque.
La pluie remplaça peu à peu la neige, mais le gris persista dehors… dans mon coeur. La conversation fut difficile à établir avec ce compagnon par trop évasif. Sa femme était à mon plus grand regret absente. L’homme semblait être d’un naturel peu bavard et de surcroît ralenti. Les mots sortant de sa bouche s’alignaient tranquillement les uns derrière les autres. Rien ne semblait avoir d’importance pour M. Bigot. Cette attitude tout d’abord perçue comme gênante devint au fil du temps agrément, car sa note sereine finit par me plonger dans une agréable torpeur.
Le soir venu, il me proposa de partager son repas un peu à contrecœur. Pourquoi pas après tout, en pareilles circonstances de déprimes, la faim tordait mon bide. C’était bon et varié, bref français.
Plus tard, nous fûmes rejoints par un Espagnol qui avait dû renoncer à son trajet entre Genève et le Puy, la tempête et les congères eurent raison de son opiniâtreté. C’est donc en bus puis en train qu’il rallia le Puy. Cela n’arrangeait pas mes affaires car me plongea une fois encore dans le déplorable climat qui m’attendait demain dimanche 25 mars, date de mon départ. D’un autre côté, sa venue équivalait à une amélioration de l’humeur, l’hombre était enjoué et fort sympathique au demeurant…lire la suite…